Le clou
J'aime écouter les gens qui n'ont rien à se dire ;
<< Bonjour, – adieu >>, et ces silences indulgents,
Œillades confondues, quelques mots sans médire...
Je n'aime pas les gens.
J'aime les gens heureux, dessinant leurs sourires
Et dessinant le mien (d'un zèle diligent),
Comme eux, j'aime m'abêtir pour ne point surir,
Je n'aime pas les gens.
Souvent, l'on rit beaucoup de soi, insoucieux
Du monde assoupi et ses matins affligeants,
J'aime les gens qui croient pouvoir palper les cieux,
Je n'aime pas les gens.
J'aime ceux qui, dans leur glace, sont Padishahs,
Et ceux qui fixent le sol d'un regard convergent,
J'aime les filles pansues et les petits chats !
Je n'aime pas les gens.
J'aime les gens qui s'aiment, qui en vermillonnent,
Les yeux inondés de rayons biréfringents,
J'aime sentir ces rois de tout qui tourbillonnent,
Je n'aime pas les gens.
J'aime prendre aux gens tout ce qu'ils pourront offrir,
Sucer leur sang, voler leurs charmes obligeants,
Et puis les laisser choir, et puis m'en laisser rire,
Je n'aime pas les gens.
J'aime les gens qui aiment se parler du temps
Pour ne point le gâter, et sondent, mitigeants :
<< Fait-il beau aujourd'hui ! et répondre un tentant :
– Je n'aime pas les gens,
Aujourd'hui j'ai tué, puis je suis resté coi,
J'ai causé à la Loi de nos Justes Régents :
Je m'appelle Soleil ! ... Je ne sais trop pourquoi...
Je n'aimais pas les gens. >>
Parfois j'aimerais étreindre quelqu'un, si fort
Que son cou se rompît... ne plus m'enfuir, nageant
Dans nos sueurs mêlées, dans nos larmes de morts...
Je n'aime pas les gens.