Futur
I
En dépit de la rouille, de l’incommensurable quantité de limon grippant ses rouages, c’est d’un geste inlassable – possiblement hérité de Sisyphe – que l’on assène à la poupe l’antique moteur d’une dynamique dont il n’est permis de contester le bien-fondé qu’au risque de se voir largué par-dessus bord.
Or si jusqu’à la pointe de cet instant désignant ton œil, ô lecteur, le bipède que d’aucuns supposent avancé pas une fois ne s’est lassé d’accomplir le geste sempiternel, c’est que sa raison d’être même procède de ce rituel nonobstant monotone et de grâce absolument dénué, dès lors qu’envisagé en spectateur.
Impatients d’embarquer vous voici, compagnons d’Odyssée ! Puisqu’il est dit que l’appel des lointains, pour indistinct qu’il soit, résonne avec obstination en nos poitrines crues blasées – qui à nouveau s’embrasent ! Insignifiants protagonistes cosmiques, mais qu’une ivresse porte à défier les gigantesques répliques de métal alignées en batterie ; les mêmes qui, à la faveur d’une distraction, nous écraseraient comme nous l’insecte inaperçu sous une auguste semelle.
Ces monstrueuses machines, vertigineuses surenchères en miroir d’un orgueil sans bornes, enfanteront-elles à leur tour, alliant la chair au titane, les nouvelles créatures promises ? Qu’importe l’extase d’argent répandu, prompt à engluer nos efforts : la force qui nous pousse dans le dos sur la gentille mare d’antan, devenue aveuglante immensité, ne saurait faiblir – plus avant, plus avant ! – jusqu’à se rompre, à angle droit, vers l’abîme d’où verticalement remontent les spectres béats ?
II
Ce moment, cet instant, frêle esquif livré au flot des vicissitudes, comme fétu de paille à la furie du caniveau, tenteras-tu de l’exhumer – pépite d’une valeur ignorée jusqu’alors – à l’heure du basculement ? Quand l’étagère bancale, au fond du grenier oublié, cédera sous le poids des jouets, inertes depuis trop longtemps ; dans un coin, l’ours en peluche se languit infiniment après sa compagne de jeux, elle sur le point de s’unir au chef brutal d’une nouvelle tribu.
L’écran à vif écartera toute bribe de doute : la scène, écrasée de son éclat terrible, subira longuement la tyrannie du dieu cyclopéen, de tout son poids opprimant la masse inconsistante, engendrant les instincts rampants ; et l’ordinaire farce tournant au tragique, on cherchera, encore, et toujours vainement, le héros rédempteur, parti pour les étoiles.
III
Sera-ce d’elles que descendra finalement la Paix, du plus loin qu’il nous en souvienne fervemment espérée ? Grâce des amples voiles épinglés, et Elle, miracle offert à nu, mieux que la nuit consolatrice de nos maux inguérissables.
Son avènement, irrésistible ainsi qu’une évidence, infléchira l’obstination des plus endurcis, balbutiant des langues nouvelles aux pieds immaculés de cette Vénus, recevant de Ses paumes le don de Vie, sous forme d’un nectar scientifiquement indéfinissable.
Quelques récalcitrants ? Sans doute, puisque perdurera cette loi de l’exception inhérente au genre humain. Or le rêve n’est-il point doux à caresser de despotes rituellement émasculés, ces trophées suspendus parmi de luxuriants vergers où les nymphes vont par bandes, égrenant leurs rires sonores, et souillant de rouge, féroces, leurs bouches semblables à des grenades ouvertes ?
Son ascension à l’autel suprême éclipsera, enfin, l’astre de colère. À la croisée des éléments, conjuguant les immortels principes de Vérité et de Beauté en un seul et même corps, Elle resplendira, réconciliatrice d’une harmonie globale, vierge d’aspérités : cette Terre, après tout, n’est-elle pas de forme sphérique ?