Dis, combien de mots
Dis, combien de mots échoués en mes phrases,
De mots évadés et rapiécés d’ombre et de lumière,
Pour dire la vie, son immense tragédie, où s’égarent
Les vents fatigués de nos habiles errances,
Où les absences émergent de nos silences,
Combien de mots, quand s’attardent les mots,
Abreuvant mes insomnies au masque blême
D’une lune pâle où se perd mon regard,
Combien de mots pour dire la chose,
Qu’ils soient dits en vers ou en prose,
Qu’ils viennent du cœur ou de l’âme.
Dis, combien de mots pour que résonne
Ce souffle divin et étrange en moi,
Qu’il pénètre, habile sous mon front,
Sans que lèvres ne s’entrouvrent aux fuites
D’un murmure mêlant aux ombres orphelines
Les lamentations brumeuses d’un encensoir.
Combien de mots pour combler le vide
Où s’affrontent sans relâche les lueurs stériles
D’un horizon obscur et sans promesse,
Combien de mots pour dire les vertiges
Qui m’envahissent, et cet affreux visage
Qui, peint par la solitude, m’obsède.
Combien de mots, de points, de virgules,
Pour lasser ma plume sur le grimoire,
Combien, dis, combien de jours abstraits
Affamant mes douleurs, les rendant
Plus familières, combien, combien
De mots sans rivage, scellés à mon encre,
Iront remplis de silence et de mémoire
Dans ce désastre infécond et immobile,
Quand l’aube se fera farouche et désespérée,
quand l’ombre et la lumière ne feront plus qu’un
Et que sous votre front, comme un passant
Miséreux, je serai ce voyageur des ténèbres.