Du plus loin que je me souvienne Je ne me rappelle pas De ta main dans la mienne Ni de mots rassurants De ma joue dans ton cou
Mais j’entends encore Tes talons pointés claquer dur Sur le carrelage Un cliquetis d’aiguilles Qui tirait la laine sortie de tes pelotes
Je vois aussi Un bouquet de malices tendres Cueillies dans les fleurs Que tu aimais soigner Une table bien dressée Des éventails aux verres La fierté de tes mains Quand l’ouvrage était fait
Je me régalerais bien encore Du chocolat fondant sur les gâteaux dorés Que je goûtais avant au fond du moule beurré Avec l’envie furieuse de le tout dévorer
À l’âge où nous faisions des balades champêtres Nous chapardions ensemble les pommes de vergers Et aux soirées de bals, sous le gui, les couleurs Les volants de ta robe virevoltaient leurs valses
Je t’ai sue un jour Sur ton vélo partie pour que je m’en revienne Et pour ne pas me perdre Encore aujourd’hui Lorsque je fais de même Pousser une brouette De pierres que tu glanais Pour tracer le jardin Je te vois
J’aurais sans doute aimé Je te l’avoue ce jour Entendre davantage les touches du piano Des mélodies classiques aux partitions récentes
Si je sais que ce piano a bien sûr existé Je sais aussi que souvent il était dans tes rêves Tu disais en jouer Mais il restait fermé
J’aurais voulu avoir avec toi connivence Pouvoir me confier Aller boire un café Ou un thé au bistrot Parler de mes lectures Et des gens que j’aimais Bref, grandir l’une l’autre ensemble Je restais ton enfant Qui bousculait le monde Nous avions bien du mal L’une l’autre à nous comprendre
Le temps ne parvenait guère à arrondir les angles Nous nous griffions le coeur
Je te regarde aujourd’hui Toi Vieille poupée de cire aux yeux presque fermés Et j’entends une larme Que j’entrevois à peine
Et pour la première fois Je mets mes mains en coupe Dans le creux de la tienne Je caresse ton épaule et le haut de ton front
Ton papillon de chair va déplier ses ailes Et prendre des couleurs au dos de l’arc-en-ciel
À moi de tricoter Des écharpes de laine Des mots pour apaiser De poser dans un vase Les doux parfums des prés De ramasser les brins Qui se sont embrouillés D’en faire un lit douillet Où tu pourras dormir