Je suis le vieux chaland qui en ce jour trépasse Jadis je fus fier et maître de mon cap Aujourd’hui je pourris à l’arrière de la cale Personne ne me regarde Sauf peut-être les marins qui ont autant de rides que moi j’ai de fissures Ils soupirent, s’arrêtent, reprennent leur souffle que je sais leur manquer Au moindre ballottage ma coque se crevasse Eux traînent leur ennui et leur bouche pâteuse jusqu’au rade du coin fiché dans l’angle mort Pour abreuver leurs sens qui s’en vont en déroute Nous sommes ces ombres laides qui n’ont pas de repli J’attends ma délivrance Je sais ma fin prochaine Quand on va me coucher sur le banc à découpes Le chalumeau mordra mes chairs dévastées On frappera mon dos, mon pont écervelé Personne pour me plaindre et entendre gémir mes flancs à bout de course Disparaîtra enfin ma croupe pelée de rouille Pour ceux qui ne croient pas que les barques aient mémoire Ce sera un soupir Mais pour tous ces cagneux qui ont franchi les mers Le naufrage d’une histoire