J’ai longtemps ignoré qui fut vraiment mon père : Il a pourtant vécu l’impensable souffrance Pouvant à tout jamais étouffer l’espérance Qui meurt en notre cœur d’un souffle délétère.
Ouvrier ajusteur il fut idéaliste Mais ses rêves n’avaient aucune invraisemblance ; Déporté à Auschwitz bien avant ma naissance Il ne put démontrer qu’il était pacifiste.
Dénoncé par les siens, des traîtres nés en France, Il a dû voyager dans les mêmes wagons Que ceux qui ont péri pour une religion Dont ils avaient appris l’art de la tolérance.
Lui qui fut arrêté pour délit d’opinion N’avait guère songé qu’il serait obligé D’endurer la vision d’un massacre enragé Dû à un dictateur sans foi et sans raison.
La folie d’un tyran et de tous ses complices A sans doute assombri l’avenir de mon père ; Lorsque sur son chemin il a croisé ma mère Il a cru au bonheur mais ce fut un supplice.
Brisé par ton exil et par la trahison, Après avoir été privé de liberté Tu ne pouvais trouver paix et sérénité, Alors tu as flirté avec dame boisson.
Tu n’as pas avancé sur des chemins heureux Ni même conservé un semblant de famille ; Tu es resté bien seul auprès de tes deux filles Avant de les laisser partir vers d’autres cieux.
Lorsque tu t’es éteint je n’étais qu’une enfant Mais j’aurais tant aimé recroiser ton chemin, Partager avec toi un bout de ton destin Et te laisser la clef d’un éden apaisant.
Aujourd’hui je n’ai plus en moi cette colère Qui venait chaque jour me parler d’abandon ; Je répands à tout-va des bouquets d’affection, J’exhume mon passé pour que vive mon père.