Boire le calice jusqu'à la lie
Toi le glorieux ascète qui s’enorgueillit
De ne pas succomber à la trivialité,
Toi qui n’as jamais su pourquoi les gens d’ici
Aiment, le soir venu, gaiement batifoler,
Laisse-moi révéler à tes yeux étourdis
Par la morne inertie qui remplit tes journées,
La raison pour laquelle, alors que vient la nuit,
Le tord-boyaux s’engouffre en de rustres gosiers.
Il est des gens pour qui le chemin de la vie,
N’arpentera jamais que les mêmes contrées.
Ces gens-là ne seront jamais très loin du nid
Où naitront leurs petits, où leurs aïeux sont nés.
Qu’ils sont loin du confort de tes fastes habits,
Du pompeux chatoiement de tes souliers lustrés,
Ceux qui doivent sans cesse, funeste ironie,
Se passer d’être humains pour tenter d’exister !
Ceux qui sont à l’usine ont pour ciel un toit gris,
Leurs journées s’achèvent comme elles ont débuté,
Ployés sans relâche sur leur pauvre établi,
Ils cultivent un fruit qu’ils ne pourront croquer.
Pour aider ces gens-là à rêver d’euphorie,
Alors que lancine leur échine voutée,
Rien n’est plus indiqué quand l’azur s’assombrit,
Qu’un verre bien rempli qui radie l’anxiété.
Certes tous les soiffards vivant en ce pays
Ne sont pas, la journée, penchés sur l'atelier.
Certains boivent le jour pour mieux dormir la nuit
Car les ponts sont leurs toits, le béton leur sommier.
Quoi qu’ils fassent, où qu’ils soient, ces gens-là sont haïs
Ils sont des parasites, à jamais condamnés
A subir le courroux, du moins les railleries,
Des gens de bonnes mœurs qui frondent au jugé.
Que sait-on de ces gens, de ce qu’ils ont subi ?
Qui es-tu pour blâmer ceux qui sont affligés
De ces maux incurables qui hantent leurs nuits ?
Certains ont dû subir ce que Satan craindrait.
Toi le glorieux ascète qui s’enorgueillit
De n’avoir jamais dû t’enivrer à l’excès,
Tu n’as point bu le calice jusqu’à la lie,
N’accable pas ces gens, laisse les vivre en paix.