Si tu peux sans amour faire semblant d’aimer ; Si tu sais courtiser beaucoup plus que chérir, Aduler aujourd’hui et demain renier, Sans vergogne et sans repentir ;
Si tu peux détruire l’ouvrage de toute la vie D’un malheureux inconnu qui ne t’a rien fait, Pour quelques sous en plus, ou par simple envie, Et partir, fier de ton forfait ;
Si malgré tes péchés, tu seras le premier A jeter la pierre à l’innocent par terre ; Si tu peux dénigrer, diffamer, calomnier Le bon, le sage, le juste, l’austère ;
Si tu sais flatter les rois et jouer le fou ; Pour une miette de pain ou un os à ronger Si tu peux à la fois manger avec le loup Et pleurer avec le berger ;
Si tu es sans pitié, si tu es sans pardon ; Si tu peux exiger pour laver un affront Deux yeux pour un œil, une mâchoire pour une dent Et que le sang coule à torrent ;
Si tu es machiavel plutôt que Don Quichotte ; Si l’honneur et l’amitié ne sont que mots vains ; Si tu hais l’érudit et admire le despote, La brute, l’injuste et l’inhumain;
Si tu es faux, si tu es fourbe, si tu es lâche Le sourire aux lèvres, le poignard à la main ; Et si le fiel et le poison que tu craches Couvrent les pas de ton chemin ;
Alors les hypocrites, les sots et les traitres Seront à tout jamais soumis à tes vices ; Et ce qui vaut bien mieux que les sots et les traitres Tu seras un élu, mon fils.