La marée enfante un vieux décor inhabité, Un piteux monument - morbidement visité : L'épave échouée, sourde à tout spectacle Dont les Néréides ont fait un habitacle
La mer paresseuse s'endort sur le tombeau Que fut ce navire jadis imposant et beau Figé à tout jamais - qui agonise - gangrené, Abandonné, perdu et par les flots malmené
Tandis que l'écho des incantations marines Affole les yeux, les oreilles et les narines, La houle l'étreint dans le froid nocturne Et l'assiège comme un rempart taciturne
À l'abri des regards et feignant le courage, Sur sa carcasse, d'anciens membres d'équipage Reviennent verser d'authentiques pleurs Et déposer, émus, des couronnes de fleurs
Et l'on se souvient du panache prestigieux De ceux qui tentèrent un destin prodigieux À son bord, quand ses moteurs surpuissants Affrontaient les Quarantièmes Rugissants
Le soir, quand la mer paresseuse s'endort, S'anime le rêve de le revoir amarré au port Et, pour l'amour du Ciel et de l'éternité : D'inextinguibles songes lui refont une virginité.