Voilà vingt ans que je suis né Et depuis ce jour là il ne fut pas un mois Il n’est pas une heure Sans qu’un jeune soldat ne meure Quelque part Sur la terre N’importe où
Des hommes
Une balle perdue Une rafale Une mine Une bombe Un obus
Mais d’où vient-il ce vent qui souffle sur la terre Il est aveugle et sourd et brutal Et fous les hommes qui se laissent enivrer
Fous ?
Ils s’en vont tous ensemble et ils marchent au pas Les tempes bourdonnantes au drapeau au tambour Au clairon Au grands mots des discours qu’ils ne comprennent pas Ces mots que l’on a fait pour eux Qu’ils connaissent par coeur Sans savoir d’où ils viennent Il suffit qu’ils existent Ces mots.
On leur a dit il faut Alors ils laissent tout Leur femme et leurs enfants et leur travail et leur maison Ils sont casqués bottés déguisés Armés
Des hommes qu’ils étaient ils se sont faits soldat
La mère doucement balance le berceau Où vagit un enfant Elle attend
Va-t-elle avoir une lettre Aujourd'hui ?
Peut-être peu-être Oh ! sûrement ! Et elle sourit
Au même instant là-bas La baïonnette a ricané De tout l’éclat de son métal Sous le soleil ardent
Déjà elle plongeait dans un ventre anonyme
Et le bébé reçut la croix de guerre À titre posthume pour son père Un héros son père
Aussi l’on encadra la décoration Dans la cuisine Entre le crucifix et le calendrier