Et maintenant que sont tombés les hauts feuillages
Et maintenant que sont tombés les hauts feuillages Qui tenaient le jardin sous leur ombre abrité, On voit, à travers le branchage à nu, monter Là-bas, vers l'horizon, les toits des vieux villages.
Tant que l'été darda sa joie, aucun de nous Ne les a vus groupés non loin de notre porte Mais aujourd'hui que fleurs et que feuilles sont mortes Nous y songeons souvent avec des pensers doux.
D'autres gens vivent là, entre des murs de pierre, Derrière un seuil usé que protège un auvent, N'ayant pour seuls amis que la pluie et le vent Et la lampe dont luit l'amicale lumière,
Dans l'ombre, au soir tombant, quand s'éveille le feu Et que se tait l'horloge où le temps se balance, Autant que nous, sans doute, ils aiment le silence Pour se sentir penser au travers de leurs yeux.
Rien ne trouble ni pour eux ni pour nous ces heures De profonde et tranquille et tendre intimité Où l'on bénit l'instant qui fut d'avoir été Et dont celle qui vient est toujours la meilleure.
Dites, comme eux aussi serrent l'ancien bonheur Fait de peine et de joie entre leurs mains qui tremblent Ils connaissent leurs corps qui ont vieilli ensemble Et leurs regards usés par les mêmes douleurs.
Les roses de leur vie, ils les aiment fanées Avec leur gloire morte et leur dernier parfum Et le lourd souvenir de leur éclat défunt Se frippant, feuille à feuille, au jardin des années.
Contre le noir hiver ainsi que des reclus Ils se tiennent blottis dans leur ferveur humaine Et rien ne les abat et rien ne les amène A se plaindre des jours qu'ils ne possèdent plus.
Oh 1! les tranquilles gens au fond des vieux villages ! Dites, les sentons-nous voisins de notre coeur ! Et combien, dans leurs yeux, retrouvons-nous nos pleurs Et notre force et notre ardeur dans leur courage !
Ils sont là, sous leur toit, assis autour des feux Ou s'attardant parfois au bord de leur fenêtre, Et, par ce soir de vent ample et flottant, peut-être Ont-ils pensé de nous ce que nous pensons d'eux.