Cette nuit, au-dessus des quais silencieux, Plane un calme lugubre et glacial d'automne. Nul vent. Les becs de gaz en file monotone Luisent au fond de leur halo, comme des yeux.
Et, dans l'air ouaté de brume, nos voix sourdes Ont le son des échos qui se meurent, tandis Que nous allons rêveusement, tout engourdis Dans l'horreur du soir froid plein de tristesses lourdes.
Comme un flux de métal épais, le fleuve noir Fait sous le ciel sans lune un clapotis de vagues. Et maintenant, empli de somnolences vagues, Je sombre dans un grand et morne nonchaloir.
Avec le souvenir des heures paresseuses Je sens en moi la peur des lendemains pareils, Et mon âme voudrait boire les longs sommeils Et l'oubli léthargique en des eaux guérisseuses
Mes yeux vont demi-clos des becs de gaz trembleurs Au fleuve où leur lueur fantastique s'immerge, Et je songe en voyant fuir le long de la berge Tous ces reflets tombés dans l'eau, comme des pleurs,
Que, dans un coin lointain des cieux mélancoliques, Peut-être quelque Dieu des temps anciens, hanté Par l'implacable ennui de son Éternité, Pleure ces larmes d'or dans les eaux métalliques.