Il est né, j'ai perdu mon jeune bien-aimé, Je le tenais si bien dans mon âme enfermé, Il habitait mon sein, il buvait mes tendresses, Je le laissais jouer et tirailler mes tresses. À qui vais-je parler dans mon coeur à présent ? Il écoutait mes pleurs tomber en s'écrasant, Il était le printemps qui voit notre délire Gambader sur son herbe et qui ne peut en rire. Il me donnait la main pour sauter les ruisseaux, Nous avions des bonheurs et des peines d'oiseaux ; Son sommeil s'étendait comme un aveu candide. Mon oeil grave flottait sur son âme limpide, Je couvais dans son coeur les oeufs de la bonté, J'effeuillais sur son front des roses de clarté. Le silence des fleurs reposait sur sa bouche, Son doux flanc se gonflait de mon orgueil farouche ; Son souffle était le mien, il voyait par mes yeux. Son petit crâne avait la courbure des cieux. Je le tenais des dieux que j'ai conçus moi-même ; C'était le jardin clos où la vérité sème, C'était le petit livre où des contes naïfs Me reposaient de l'ombre et des rayons pensifs. Ses doigts tendres savaient caresser ma misère. Devant ce front de lait, devant cette âme claire Mon coeur n'éprouvait point de honte d'être nu, Mon être était l'instinct dans son geste ingénu, J'étais bonne d'avril nouveau comme la terre, Je donnais mes ruisseaux, mes feuilles, ma lumière ; La mort cachait ses os sous les duvets herbeux, Nous étions le mystère et la vie à nous deux. Notre âme, au ras du sol mollement étendue, Était un blé qui berce une vague pelue.
Maintenant il est né. Je suis seule, je sens S'épouvanter en moi le vide de mon sang ; Mon flair furète dans son ombre Avec le grognement des femelles. Je sombre D'un bonheur plus puissant que l'appel d'un printemps Qui ferait refleurir tous les mondes des temps. Ah ! que je suis petite et l'âme retombée, Comme lorsque la graine ayant pris sa volée La capsule rejoint ses tissus aplanis. Ô coeur abandonné dans le vent, pauvre nid !