Vivre du vert des prés et du bleu des collines, Des arbres racineux qui grimpent aux ravines, Des ruisseaux éblouis de l'argent des poissons ; Vivre du cliquetis allègre des moissons, Du clair halètement des sources remuées, Des matins de printemps qui soufflent leurs buées, Des octobres semeurs de feuilles et de fruits Et de l'enchantement lunaire au long des nuits Que disent les crapauds sonores dans les trèfles. Vivre naïvement de sorbes et de nèfles, Gratter de la spatule une écuelle en bois, Avoir les doigts amers ayant gaulé des noix Et voir, ronds et crémeux, sur l'émail des assiettes, Des fromages caillés couverts de sarriettes. Ne rien savoir du monde où l'amour est cruel, Prodiguer des baisers sagement sensuels Ayant le goût du miel et des roses ouvertes Ou d'une aigre douceur comme les prunes vertes À l'ami que bien seule on possède en secret. Ensemble recueillir le nombre des forêts, Caresser dans son or brumeux l'horizon courbe, Courir dans l'infini sans entendre la tourbe Bruire étrangement sous la vie et la mort, Ignorer le désir qui ronge en vain son mors, La stérile pudeur et le tourment des gloses ; Se tenir embrassés sur le néant des choses Sans souci d'être grands ni de se définir, Ne prendre de soleil que ce qu'on peut tenir Et toujours conservant le rythme et la mesure Vers l'accomplissement marcher d'une âme sûre. Voir sans l'interroger s'écouler son destin, Accepter les chardons s'il en pousse en chemin, Croire que le fatal a décidé la pente Et faire simplement son devoir d'eau courante. Ah ! vivre ainsi, donner seulement ce qu'on a, Repousser le rayon que l'orgueil butina, N'avoir que robe en lin et chapelet de feuilles, Mais jouir en son plein de la figue qu'on cueille, Avoir comme une nonne un sentiment d'oiseau, Croire que tout est bon parce que tout est beau, Semer l'hysope franche et n'aimer que sa joie Parmi l'agneau de laine et la chèvre de soie.