J'étais couché dans l'ombre au seuil de la forêt. Un talus du chemin désert me séparait. J'écoutais s'écouler près de moi, bruit débile, Une source qui sort d'une voûte d'argile. Par ce beau jour de juin brûlant et vaporeux L'horizon retenait des nuages heureux. Des faucheurs répandus à travers la prairie Abattaient ses remparts d'herbe haute et nourrie. D'un coteau descendaient des voitures de foin. Ailleurs encor c'était une eau bleue, et, plus loin, La ville aux toits d'azur liquides de lumière.
Deux hommes cependant au coin de la lisière Apparurent, avec des fagots sur le dos, Et qui, laissant glisser à terre leurs fardeaux, S'assirent sans me voir aux abords de ma place. Bientôt l'un d'eux tira du fond de sa besace Un boisseau de fer-blanc plein de fraises des bois. Il en fit ruisseler tous les fruits à la fois Sur de la mousse humide au creux d'une racine ; Il le remplit ensuite à la source voisine, Et vint, avant d'avoir bu lui-même, l'offrir A l'autre qui semblait être las et souffrir.
Ô nature, génie éternel, ô grand Etre, Je mets ma passion et ma gloire à connaître Tes forêts, tes vergers, ta flore et tes moisssons, Et l'air et les couleurs de tes quatre saisons, Et je dois à l'amour dont ta beauté m'enivre Mon regret de n'avoir qu'une existence à vivre ; Mais, ô vaste univers esclave de ta fin, Quels que soient les trésors qu'engendre dans ton sein Une fécondité toujours diverse et neuve, Tu n'en possèdes point peut-être qui m'émeuve Autant que ce pauvre homme aperçu l'autre été Quand il agit selon l'humaine charité.