Sous ces tilleuls qui nous prêtent leur ombre, Tu me promis cent baisers l'autre jour ; Tu me les a donnés, mais sans passer leur nombre, Eh ! Quel nombre, dis moi, peut suffire à l'amour ? Lorsque Cérès enrichit la nature, Sait-elle donc, trop avare Thaïs, Le compte de tous les épis Dont elle orne sa chevelure ? Flore au hasard va semant ses bouquets, Ces moissons de parfums sur son passage écloses ; Et Zéphyr ne tient point registre pour les roses Qu'il fait naître dans nos bosquets. Du haut de la brillante voûte, Lorsque l'onde du ciel s'épanche dans nos champs, Distille-t-elle goutte à goutte ? Jupiter quelquefois la verse par torrents. Et sur la plaine reposée Quand l'aurore aux douces couleurs, Laisse onduler ses rayons bienfaiteurs ; Dans ses présents froide et symétrisée, La voit-on mesurer aux fleurs L'émail transparent de ses pleurs Et les perles de la rosée ? Et les biens et les maux, les dieux sur l'univers Répandent tout avec largesse ; Et toi, Thaïs, qui nous peins la déesse Qu'une conque d'azur promène sur les mers, Ainsi que les faveurs tu bornes la tendresse ! L'enfant ailé te combla tour à tour De tous ses dons, et ta froideur le blesse ! Et c'est Thaïs qui compte avec l'amour ! Ah ! Cruelle, ai-je donc calculé mes alarmes, Et mes tourments et mes soupirs ? Si tu comptes les maux, compte aussi les plaisirs. Mais vas ; confondons tout, les baisers et larmes ; Viens, laisse-moi dévorer tes beautés ; Viens, ne m'afflige plus par des refus coupables Et donne moi des baisers innombrables Pour tant de pleurs... que je n'ai pas comptés.