Dure contrainte de partir, A quoi je ne puis consentir, Et dont je ne m'ose défendre, Que ta rigueur a de pouvoir ? Et que tu me fais bien apprendre Quel tyran C'est que le devoir ?
J'aurai donc nommé ces beaux yeux Tant de fois mes rois et mes dieux ? Pour aujourd'hui n'en tenir compte, Et permettre qu'à l'avenir On leur impute cette honte De n'avoir su me retenir ?
Ils auront donc ce déplaisir, Que je meure après un désir, Où la vanité me convie : Et qu'ayant juré si souvent D'être auprès d'eux toute ma vie, Mes serments s'en aillent au vent ?
Vraiment je puis bien avouer Que j'avais tort de me louer Par-dessus le reste des hommes : Je n'ai point d'autre qualité Que celle du siècle où nous sommes, La fraude, et l'infidélité.
Mais à quoi tendent ces discours, O beauté qui de mes amours Etes le port, et le naufrage ? Ce que je dis contre ma foi, N'est-ce pas un vrai témoignage Que je suis déjà hors de moi ?
Votre esprit de qui la beauté, Dans la plus sombre obscurité Se fait une insensible voie, Ne vous laisse pas ignorer Que c'est le comble de ma joie Que l'honneur de vous adorer.
Mais pourrais-je n'obéir pas Au destin de qui le compas Marque à chacun son aventure, Puisqu'en leur propre adversité Les dieux tout-puissants de Nature Cèdent à la nécessité ?
Pour le moins j'ai ce réconfort, Que les derniers traits de la mort Sont peints en mon visage blême, Et font voir assez clair à tous Que c'est m'arracher à moi-même, Que de me séparer de vous.
Un lâche espoir de revenir Tâche en vain de m'entretenir : Ce qu'il me propose m'irrite : Et mes voeux n'auront point de lieu, Si par le trépas je n'évite La douleur de vous dire adieu.