L'homme n'a rien du temps que l'instant qu'il possède, Quand le temps est perdu, sa perte est sans remède : Après tant d'embarras, tant de peine et de bruit, On se trouve à la fin et sans temps et sans fruit. Chacun se donne en proie au siècle qui l'entraîne, Au plaisir qui l'amuse, au dessein qui le gêne, Et comme s'il régnait une fatale loi, Chacun fait ce qu'il peut pour n'être point à soi. Homme trop partagé, possède-toi toi-même, Fais servir tout le temps à ton bonheur suprême : Chaque instant recueilli te vaut l'éternité. Ne perds point tant de biens après la vanité. N'attends pas à demain ; prends pour toi la journée : Celle que l'on possède est la plus fortunée. Le présent te regarde, et non pas l'avenir Ne laisse point couler ce que tu peux tenir. L'avare ne dit point : à demain la fortune ; Il prend pour amasser la rencontre opportune. Il abandonne au temps son esprit et son corps. Le temps est son grand bien, le fond de ses trésors. De notre illusion l'oubli du temps dérive. De nos sens enchantés la fausse perspective Nous montre de bien loin la mort et le tombeau ; Et l'homme après un siècle à mourir est nouveau. Ainsi perdant les jours, et comptant par années, Cent ans dans son erreur ne sont que cent journées. Le temps pousse le temps d'un insensible effort : Et vivre, c'est toujours s'approcher de la mort. [...]