Le passé n'est rien dans la vie, Et le présent est moins encor ; C'est à l'avenir qu'on se fie Pour donner joie et trésor. Tout mortel dans ses yeux devance Cet avenir où nous courrons ; Le bonheur est espérance ; On vit, en disant : nous verrons.
Mais cet avenir plein de charmes, Qu'en est-il lorsqu'il est arrivé ? C'est le présent qui, de nos larmes, Matin et soir est abreuvé ! Aussitôt que s'ouvre la scène Qu'avec ardeur nous désirons, On bâille, on la regarde à peine ; On vit, en disant : nous verrons.
Ce vieillard penche vers la terre : Il touche à ses derniers instants ; Y pense-t-il ? Non : il espère Vivre encore soixante-dix ans. Un docteur, fort d'expérience, Veut lui prouver que nous mourrons ; Le vieillard rit de la sentence Et meurt, en disant : nous verrons.
Valère et Damis n'ont qu'une âme, C'est le modèle des amis. Valère en un malheur réclame La bourse et les soins de Damis : " Je viens à vous, ami si tendre, Ou ce soir au fond des prisons... - Quoi ! ce soir même ? - On peut attendre. Revenez demain : nous verrons. "
Nous verrons est un mot magique Qui sert dans tous les cas fâcheux. Nous verrons, dit le politique ; Nous verrons, dit le malheureux. Les grands hommes de nos gazettes, Les rois du jour, les fanfarons, Les faux amis, les coquettes, Tout cela vous dit : nous verrons.