D'où vient qu'un penser indiscret M'entretient toujours en secret D'un sujet qui m'est si contraire, Et convaincu de trahison Ne saurait jamais se distraire De me présenter du poison ?
Quel doux et cruel mouvement Veut rendre ainsi de mon tourment Mes volontés mêmes complices ? Et flattant de nouveaux désirs, Sous l'apparence des délices, Me déguise les déplaisirs ?
Après tant de regrets conçus Et tant d'aiguillons aperçus Sous le trompeur éclat des roses, Suis-je bien assez malheureux Pour permettre aux plus belles choses De me rendre encore amoureux ?
Après tant de vives douleurs, Après tant de sang et de pleurs Que j'ai versés dessus ma flamme, Aurais-je l'indiscrétion De livrer encore mon âme Au pouvoir de ma passion ?
Ô prudente et forte raison Qui m'as tiré d'une prison Où je répandais tant de larmes, Je n'ai recours qu'à ta bonté, Veuille encore prendre les armes Pour défendre ma liberté.
J'aperçois déjà mon trépas Couvert des innocents appas Que Philis sait mettre en usage, Philis ce chef d'oeuvre des cieux, Qui n'a de douceur qu'au visage Ni d'amour que dans ses beaux yeux.
Ô raison, céleste flambeau, Achève un ouvrage si beau. Mais quoi, tu perds cette victoire, Et malgré tes sages propos, L'objet qui règne en ma mémoire Vient encore troubler mon repos.