Mon âme, défends-toi du désir aveuglé Qui d'un mouvement déréglé Sous des fers éclatants te veut rendre asservie, Et d'un sage conseil rejette le poison Qui pourrait nous ôter la vie, Nous ayant ôté la raison.
Considère qu'Amour avecque des appas Nous veut déguiser mon trépas En t'offrant en victime aux plus beaux yeux du monde, Et qu'entrer au dédale où tu vas t'égarant Est vouloir s'embarquer sur l'onde Quand le naufrage est apparent.
Celle qui tient ma vie et ma mort en ses mains Rebute les voeux des humains Comme indignes devoirs dont sa grandeur s'irrite, Et l'on ne peut sans crime aimer en si haut lieu, Si ce n'est qu'avec le mérite On ait la naissance d'un dieu.
Bornons donc nos désirs, et croyons sagement Tout ce que notre jugement Peut apporter d'utile au soin qui nous possède. Étouffons au berceau ces pensers amoureux, Et par un si cruel remède Évitons un mal dangereux.
Mais, ô lâche conseil, de qui la trahison Me veut tirer d'une prison Que mon ambition préfère à cent couronnes, En vain par la terreur tu m'en crois dégager. Va-t-en glacer d'autres personnes Qui s'étonnent pour le danger.
De moi, nulle raison ne saurait m'empêcher De servir un objet si cher : Le péril qui s'y trouve augmente mon courage, Et si dans ce dessein je trouve mon cercueil, Ma vie au moins en ce naufrage Fera bris contre un bel écueil.
Encore que mes soins m'attirent son mépris, Ma foi ne sera pas sans prix, Et j'aurai de la gloire avec de la disgrâce, Car on dira toujours en parlant de mon sort : Daphnis eut une belle audace, Et mourut d'une belle mort.