Nous sommes les crève-de-faim Les va-nu-pieds du grand chemin Ceux qu'on nomme les sans-patrie Et qui vont traînant leur boulet D'infortunes toute la vie, Ceux dont on médit sans pitié Et que sans connaître on redoute Sur la grand'route.
Nous sommes nés on ne sait où Dans le fossé, un peu partout, Nous n'avons ni père, ni mère, Notre seul frère est le chagrin Notre maîtresse est la misère Qui, jalouse jusqu'à la fin Nous suit, nous guette et nous écoute Sur la grand'route.
Nous ne connaissons point les pleurs Nos âmes sont vides, nos coeurs Sont secs comme les feuilles mortes. Nous allons mendier notre pain C'est dur d'aller (nous refroidir) aux portes. Mais hélas ! lorsque l'on a faim Il faut manger, coûte que coûte, Sur la grand'route.
L'hiver, d'aucuns de nous iront Dormir dans le fossé profond Sous la pluie de neige qui tombe. Ce fossé-là leur servira D'auberge, de lit et de tombe Car au jour on les trouvera Tout bleus de froid et morts sans doute Sur la grand'route.