Dans l'angle obscur de la chambre, le piano Songe, attendant des mains pâles de fiancée De qui les doigts sont sans reproche et sans anneau, Des mains douces par qui sa douleur soit pansée
Et qui rompent un peu son abandon de veuf, Car il refrémirait sous des mains élargies Puisqu'en lui dort encor l'espoir d'un bonheur neuf. Après tant de silence, après tant d'élégies
Que le deuil de l'ébène enferma si longtemps, Quelle ivresse si, par un soir doux de printemps, Quelque vierge attirée à sa mélancolie Ressuscitait de lui tous les rythmes latents :
Gerbe de lis blessés que son jeu lent délie ; Eau pâle du clavier où son geste amusé - Rafraîchi comme ayant joué dans une eau claire - Ferait surgir un blanc cortège apprivoisé,
Cygnes vêtus de clair de lune en scapulaire, Cygnes de Lohengrin dans l'ivoire nageant ! Hélas ! Le piano reste seul et morose Et défaille d'ennui par ce soir affligeant Où dans la chambre meurt une suprême rose.
La nuit tombe ; le vent fraîchit ; nul n'est venu Et, résigné parmi cette ombre qui le noie, Il refoule dans le clavier désormais nu Les possibilités de musique et de joie !