Tel soir fané, telle heure éphémère suscite Aux miroirs de mon âme un souvenir de site ; Sites recomposés, qu'on eût dit oubliés : D'un canal mort avec deux rangs de peupliers
Dont les feuilles vont se cherchant comme des lèvres ; Et d'une âpre colline où de bêlantes chèvres, Dont le cri se déchire aux épines aussi, S'appellent l'une l'autre, et d'un air si transi !
Décor surtout des quais dormants en enfilade, Pignons, rampes de bois par-dessus l'eau malade Où chaque feu miré se délaye en halo, Fragile et fugitif maquillage de l'eau
Qui, sous un heurt de vent, tout à coup s'évapore Et fait que l'eau se mue en sommeil incolore ! Sites instantanés, comme à peine rêvés, En contours immortels je les ai conservés
Et je les porte en moi, depuis combien d'années ! Seul un ciel identique, aux pâleurs surannées, Triste comme celui qui me les faisait voir, Les a ressuscités de moi-même ce soir ;
Et c'est ainsi toujours qu'au hasard des nuages Revivent dans mon coeur de souffrants paysages !