Ô coeur mondain, humaine pensée Trop aveuglée, encor plus insensée, Sur un appui de petite assurance Et fort fragile a mis ton espérance ; Tu n'aperçois qu'un chacun temps se passe Légèrement et en bien peu d'espace Tu n'aperçois temps et siècle tourner Par monuments sans jamais retourner.
Ne vois-tu pas toutes choses finer !
Et en peu d'heure un chacun définer Ses jours, ses ans, sans en excepter âme, Soit faible ou fort, pauvre ou riche, homme ou femme. En quel lieu est maintenant la cohorte Et ost des Grecs qui Troyens en main forte Ont débellé et détruit Ilion ? Où est Hector plus hardi qu'un lion Tant redouté et bien provu aux armes, Qui fit jadis sur les Grecs maints alarmes, Lorsque Troie en grande magnificence De ses forts murs avait encor l'essence ? Où est Turnus le prince belliqueux ? Et Achilles aux armes fort et preux Auquel les Grecs avaient toute espérance Pour sang troyen répandre en abondance ? Où est le grand et vaillant Alexandre, Qui put jadis son nom et bruit épandre Et dilater par toute nation Le sien empire et domination ? Qu'est devenu le bon poète Homère ? Virgile aussi, lesquels mort tant amère A fait passer et partir de ce monde ? Qu'est devenu d'éloquence et faconde Le parangon qui fut Tulle nommé' ? Maint autre aussi jadis bien renommé Pour sa vertu et [pour] son grand savoir Desquels les corps, comme l'on peut savoir, Réduits en cendre en terre sont pourris, Et dont les vers se sont pais et nourris ? Où est pour lors l'abondante richesse De Salomon qui fut plein de sagesse ? Où est pour lors le palais tant superbe Du roi Priam où croît maintenant l'herbe ?
Ô quel douleur, quel diverse fortune De voir ainsi par piteuse infortune Ces choses-là jadis tant bien dressées Être muées et du tout renversées ! Le temps ne veut endurer ni permettre Aucune chose au monde toujours être ; Ains tout consomme et fait à fin venir, Et puis à rien pour certain devenir.
Tout ce qui fut, qui est et qui sera, A trait de temps son être cessera.