Belle Armide, à quelle raison Pour nous tirer en ta prison Uses-tu de tant de caresses, Puisqu'abusant de ses appas Tes beaux yeux nous font des promesses Dont ton coeur ne se souvient pas ?
Quelle erreur t'a pu faire croire Qu'on puisse acquérir de la gloire Avec tant d'infidélité, Et que l'amour et la constance, Au prix de la légèreté, Soient des idoles sans puissance ?
Cesse donc de plus inventer Tant d'attraits pour nous arrêter Et pour ravir notre franchise, Puisqu'au lieu de la retenir Aussitôt que tu l'as conquise Tu ne t'en veux plus souvenir.
Hé ! quel honneur peux-tu prétendre De tant de coeurs qu'on te voit prendre, Que tu quittes de jour en jour Pour d'autres conquêtes nouvelles, Imaginant plutôt l'amour Sans des flammes que sans des ailes ?
Mais hélas ! ô chère beauté, Je blâme ta légèreté, Sans penser que la douce amorce Dont tu te sers pour m'engager Me ravit l'envie et la force De me soustraire à ce danger.
Car voyant ma perte évidente Sur une mer si peu constante, Mon coeur semble s'y préparer, Désirant si fort son naufrage Que de peur de s'en retirer Il n'a peur que d'être trop sage.
Hélas ! Raison, pardonne-moi, Si tu vois qu'enfreignant ta loi, Je fais si peu de résistance Quand on m'ôte ma liberté, Et si malgré son inconstance Je veux mourir pour sa beauté.
Et qui pourrait t'être fidèle Aimant une chose si belle ? Ou bien en voyant seulement Ses beaux yeux, dont la douce flamme Me fait haïr si doucement Le défaut qu'elle a dedans l'âme ?
Je veux donc aimer ma prison, Et croire, pour la guérison De la douleur qui me tourmente, Ou que je pourrai l'arrêter, Ou que son humeur inconstante Me contraindra de l'imiter.