Je me répute heureux, pour avoir emporté À la fin ce portrait, où votre grand beauté Revit fécondement par la vive peinture D'un maître très expert, qui dedans son tableau A si bien retracé votre visage beau Qu'il semble entièrement ouvrage de Nature.
Qui verrait cette image assise auprès de vous, Bien qu'elle soit sans âme et sans nerfs et sans pouls, À peine saurait-il discerner l'effigie Ou de vous ou bien d'elle, on prendrait toutes deux Pour deux tableaux pareils d'ouvrage merveilleux, Ou pour deux pareils corps vivant de même vie.
J'aurai dorénavant de quoi me contenter, Pouvant tout à loisir mon oeillade jeter Dessus les traits naïfs de votre belle image ; Bienheureux je vivrai jusques à mon cercueil, Puisque tout à loisir j'assouvirai mon oeil De regarder le vôtre et de lui faire hommage.
À ce tableau naïf je conterai souvent Les douleurs et les maux que j'ai en vous servant, Et lui ferai savoir mes douleurs et mes peines. Ce me sera beaucoup qu'il serve pour le moins A mon fidèle amour de fidèles témoins, Quand mes yeux devant lui verseront deux fontaines. [...]
Lui qui n'a sentiment ne me répondra point ; À l'heure tout dépit et d'amour plus époint Cent fois coup dessus coup je vous dirai cruelle, Me donnant un portrait qui me vient embraser Du tison amoureux, sans qu'il puisse apaiser Le feu qu'il aura fait éprendre en ma mouelle. [...]
Voilà comment, Madame, en cent mille façons Ce tableau changera mes chaudes passions, Augmentant sans cesser mes peines et ma plainte. Il me vaut donc bien mieux ne le point emporter. Mais, ah ! en le quittant, je ne veux pas quitter Votre image qui est dans mon coeur bien mieux peinte.