Verger cher à mon coeur, séjour de l'innocence, Honneur des plus beaux jours que le ciel me dispense. Solitude charmante, Asile de la paix ; Puissé-je, heureux verger, ne vous quitter jamais.
Ô jours délicieux coulés sous vos ombrages ! De Philomèle en pleurs les languissants ramages, D'un ruisseau fugitif le murmure flatteur, Excitent dans mon âme un charme séducteur. J'apprends sur votre émail à jouir de la vie : J'apprends à méditer sans regrets, sans envie Sur les frivoles goûts des mortels insensés. Leurs jours tumultueux l'un par l'autre poussés N'enflamment point mon coeur du désir de les suivre. À de plus grands plaisirs je mets le prix de vivre ; Plaisirs toujours charmants, toujours doux, toujours purs, A mon coeur enchanté vous êtes toujours sûrs. Soit qu'au premier aspect d'un beau jour près d'éclore J'aille voir les coteaux qu'un soleil levant dore ; Soit que vers le midi chassé par son ardeur, Sous un arbre touffu je cherche la fraîcheur ; Là portant avec moi Montaigne ou La Bruyère, Je ris tranquillement de l'humaine misère ; Ou bien avec Socrate et le divin Platon, Je m'exerce à marcher sur les pas de Caton : Soit qu'une nuit brillante en étendant ses voiles Découvre à mes regards la lune et les étoiles, Alors, suivant de loin La Hire et Cassini, Je calcule, j'observe, et près de l'infini Sur ces mondes divers que l'Éther nous recèle Je pousse, en raisonnant, Huyghens et Fontenelle ; Soit enfin que surpris d'un orage imprévu, Je rassure en courant le berger éperdu, Qu'épouvantent les vents qui sifflent sur sa tête ; Les tourbillons, l'éclair, la foudre, la tempête ; Toujours également heureux et satisfait, Je ne désire point un bonheur plus parfait.