Qui prêtera la parole A la douleur qui m'affole ? Qui donnera les accents A la plainte qui me guide : Et qui lâchera la bride A la fureur que je sens ?
Qui baillera double force A mon âme, qui s'efforce De soupirer mes douleurs ? Et qui fera sur ma face D'une larmoyante trace Couler deux ruisseaux de pleurs ?...
Et vous mes vers, dont la course A de sa première source Les sentiers abandonnés, Fuyez à bride avalée. Et la prochaine vallée De votre bruit étonnez.
Votre eau, qui fut claire et lente, Ores trouble et violente, Semblable à ma douleur soit, Et plus ne mêlez votre onde A l'or de l'arène blonde, Dont votre fond jaunissoit...
Chacune chose décline Au lieu de son origine Et l'an, qui est coutumier De faire mourir et naître, Ce qui fut rien, avant qu'être, Réduit à son rien premier.
Mais la tristesse profonde, Qui d'un pied ferme se fonde Au plus secret de mon coeur, Seule immuable demeure, Et contre moi d'heure en heure Acquiert nouvelle vigueur...
Quelque part que je me tourne, Le long silence y séjourne Comme en ces temples dévots, Et comme si toutes choses Pêle-mêle étaient r'encloses Dedans leur premier Chaos...
Maudite donc la lumière Qui m'éclaira la première, Puisque le ciel rigoureux Assujettit ma naissance A l'indomptable puissance D'un astre si malheureux...
Heureuse la créature Qui a fait sa sépulture Dans le ventre maternel ! Heureux celui dont la vie En sortant s'est vue ravie Par un sommeil éternel !...
Sus, mon âme, tourne arrière, Et borne ici la carrière De tes ingrates douleurs. Il est temps de faire épreuve, Si après la mort on treuve La fin de tant de malheurs.