[...] Sur le milieu s'élève un beau tertre qui pousse L'éternelle fraîcheur d'une odorante mousse, Et de son flanc ouvert par un petit canal Verse à menus bouillons un liquide cristal, A qui nature semble avoir formé de l'herbe Un bassin d'émeraude éclatant et superbe, Où l'eau garde toujours un état tempéré, Comme celle qu'on trouve en un bain préparé. Ainsi ces flots coulants d'une source féconde Forment un petit lac où s'amasse leur onde. Le fréquent embarras des joncs et des roseaux N'y trouble en aucun lieu la clarté de ses eaux : L'oeil peut voir jusqu'au fond comme au travers d'un verre, Et regarde à plaisir entre l'onde et la terre Mille nageurs muets qui pleins de liberté Montrent leur sein d'ivoire et leur dos argenté.
Les différentes fleurs qui bordent le rivage Dans ce miroir flottant rencontrent leur image, Quand leur tête se courbe et penche mollement Pour se voir reproduire à cet autre élément, Où d'un moite pinceau leur face est si bien peinte Qu'on ignore quelle est ou la vraie ou la feinte. Â gauche un petit bois, ou plutôt un verger, Sur le tremblant ormeau, le myrte et l'oranger, Étale abondamment les présents de Pomone Et se pare en tout temps des beaux fruits de l'automne. On peut voir sur le sein de ces prochaines eaux Danser au gré du vent l'ombre de leurs rameaux ; Et l'on trouve toujours la fraîcheur et l'ombrage Sous l'épais entrelacs de ce plaisant bocage, Qui formant un berceau de ces arbres touffus Fait aux rais du soleil un éternel refus. Mais s'ils cachent du ciel la clarté nonpareille, Ils en montrent une autre agréable à merveille, Où les jaunes citrons et les pommes encore Sont dans un vert lambris autant d'étoiles d'or. Les plus dignes oiseaux, dont le chant harmonique Dispose absolument des tons de la musique, Y méprisent tous ceux qui se nichent ailleurs, Parce que leurs concerts sont plus doux et meilleurs, Et qu'un pinceau trempé dans des couleurs plus belles Leur enrichit le bec, les plumes et les ailes ; Enfin, tous les objets qu'on peut voir alentour Sont cultivés des mains ou de Flore, ou d'Amour. [...]