[...] Ici le bel art de piper Très impunément se pratique ; Ici tel se laisse attraper Qui croit faire aux pipeurs la nique. Approchons ces gens assemblés, Hommes parmi femmes mêlés J'y vois, ce me semble, une dupe, Car ce beau porte-point-coupé, D'un touffu panache huppé, Près de cette brillante jupe Qui bien plus que son jeu l'occupe, Qu'est-ce, qu'un damoiseau dupé ?
Qu'ils sont d'accord, ces assassins Qui de paroles s'entremangent ! Qu'ils sont pour faire des larcins De leurs dés qu'à tous coups ils changent ! Que ces deux démons incarnés Sont sur ce pauvre homme acharnés, Qui perd tout en grattant sa tête Et sans dire le moindre mot ! Ha l qu'il a bien trouvé son sot, Celui-là qui jure et tempête ! Et que l'autre fait bien la bête Avec son serment de bigot !
Foire, l'élément des coquets, Des filous et des tire-laine, Foire, où l'on vend moins d'affiquets Que l'on ne vend de chair humaine ! Sous le prétexte des bijoux Que l'on fait de marchés chez vous Qui ne se font bien qu'à la brune ! Que chez vous de gens sont déçus ! Que chez vous se perdent d'écus ! Que chez vous c'est chose commune De voir converser sans rancune Les galants avec les cocus !
Tout ce qui reluit n'est pas or En ce pays de piperie, Mais ici la foule est encor Sans respect de la pierrerie. Menez-moi chez les Portugais : Nous y verrons à peu de frais Des marchandises de la Chine : Nous y verrons de l'ambre gris, De beaux ouvrages de vernis Et de la porcelaine fine De cette contrée divine Ou plutôt de ce paradis.
Nous achèterons des bijoux, Nous boirons de l'aigre de cèdre. Mais comment diable ferons-nous Pour trouver une rime en èdre ? N'importe ! ne radoubons rien Èdre et cèdre riment fort bien, N'en déplaise à la Poésie ; La fabrique de tant de vers Sur tous ces objets si divers, Dont j'ai l'âme toute farcie, M'a fatigué la fantaisie Et mis l'esprit presque à l'envers. [...]