Les grands
classiques

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Les grands<br>classiques

Pernette du GUILLET
1520 - 1545

Désespoir

Si c'est Amour, pourquoi m'occit-il donc,
Qui tant aimai, et haïr ne sus onc ?
Et s'il m'occit, pourquoi plus outre vis ?
Et si ne vis, pourquoi sont mes devis
De désespoir et de plaints tous confus ?
Meilleur m'était, soudain que né je fus,
De mourir tôt que de tant vivre, même
Que mortel suis ennemi de moi-même :
Et ne puis, las, et ne puis vouloir bien,
Ne voulant celle, en qui gît l'espoir mien :
Et ne puis rien, fors ce que veut la dame,
De qui suis serf de coeur, de corps, et d'âme.

Être ne peut mon mal tant lamenté,
Que de plus grand ne soye tourmenté :
Et ne pourrais montrer si grand'douleur,
Qu'encor plus grand ne celât mon malheur.

Las ! je ne suis prisonnier, ni délivre :
Et ne me tient en espoir, ni délivre
Mon bien servir, qui de mort prend envie.

je ne suis mort, ni je ne suis en vie,
Me contraignant à plaindre mon mal-aise :
Et raison veut toutefois que me taise
Pour n'offenser ce que servir désire,
Qui mon vouloir en mille parts dessire.

L'âme connaît que de si très-bas lieux,
Dont mes grands pleurs montent jusques aux yeux,
Jamais les voix ne peuvent être ouïes,
Ni en hauteur si grande réjouies :

Car ce mien feu, qui peu à peu me fond,
Est dans mon coeur allumé si profond,
Qu'il ne peut pas, bien qu'il soit grand, reluire
Devant les yeux qui, pour mal me conduire,
Font le Soleil de grand'honte retraire :
Ainsi je meurs, étant contraint me taire.

Pour moi ne vois remède suffisant,
Ni pour ma peine aucun moyen duisant :
Car mon désir a peur de désirer,
Qui tant plus croît, tant plus fait empirer
Ce mien espoir, qui peu à peu me faut,
Et toutefois en moi point ne défaut,
Ni s'amoindrit ma grande passion :
Mais toujours croît par obstination.

La Mort me suit, non pour paix me donner,
Mais seulement pour ne m'abandonner :
Aussi celle est, qui pallie, et adombre
De mes travaux un non guère grand nombre :
Parquoi je dis - sans ailleurs recourir -
Qu'on peut trouver plus grand mal que mourir ;
Mais bien meilleur est mourir à qui aime
En grand'douleur, et peine tant extrême.

Car, vivant, faut - misérable - qu'il sente
Les grands douleurs de la peine présente,
Ayant toujours du passé souvenir ;
La crainte aussi de celles à venir
Incessamment lui redouble sa peine
Parquoi sa foi est en espoir bien vaine.

Chétifs Amants ! aucun ne dût s'offrir
À telle ardeur, peine à douleur souffrir
En un espoir - plus vain que l'on ne pense -
D'une, peut-être, ingrate récompense :
Car de l'amour la force tant aiguë
Pour bien servir ne peut être vaincue.
Et plusieurs fois - et à la vérité -
On voit celui, qui a moins mérité,
Être, pour vrai, le mieux récompensé,
Qui ne dût être à tel bien dispensé.

En telle guerre, où vertu sert de vice,
Ne vaut avoir ferme foi, ni service.
Puis donc qu'on m'ôte, et denie victoire,
Qui m'était due, il est par trop notoire
Que là où meurt, et où gloire dévie,
C'est gloire aussi que tôt meure la vie.

Aussi, ô Dieux, avec cette mort mienne,
Mourront mes maux, et ma plaie ancienne,
Mon espérance, et désir obstiné,
Et mon arbitre en mal prédestiné,
Mon mal, ma peine avec mes fâcheries,
Amour aussi avec ses tromperies.

(Elégie IV)