Epître à Margot
Pourquoi craindrais-je de le dire ?
C'est Margot qui fixe mon goût :
Oui, Margot ! cela vous fait rire ?
Que fait le nom ? la chose est tout.
Margot n'a pas de la naissance
Les titres vains et fastueux ;
Ainsi que ses humbles aïeux,
Elle est encor dans l'indigence ;
Et pour l'esprit, quoique amoureux,
S'il faut dire ce que j'en pense,
À ses propos les plus heureux,
Je préférerais son silence.
Mais Margot a de si beaux yeux,
Qu'un seul de ses regards vaut mieux
Que fortune, esprit et naissance
Quoi ! dans ce monde singulier,
Triste jouet d'une chimère,
Pour apprendre qui me doit plaire,
Irai-je consulter d'Hozier ?
Non, l'aimable enfant de Cythère
Craint peu de se mésallier :
Souvent pour l'amoureux mystère,
Ce Dieu, dans ses goûts roturiers,
Donne le pas à la Bergère
Sur la Dame aux seize quartiers.
Eh ! qui sait ce qu'à ma maîtresse
Garde l'avenir incertain ?
Margot, encor dans sa jeunesse,
N'est qu'à sa première faiblesse,
Laissez-la devenir catin,
Bientôt, peut-être, le destin
La fera Marquise ou Comtesse ;
Joli minois, coeur libertin
Font bien des titres de noblesse.
Margot est pauvre, j'en conviens :
Qu'a-t-elle besoin de richesse ?
Doux appas et vive tendresse,
Ne sont-ce pas d'assez grands biens ?
Trésors d'amour ce sont les siens.
Des autres biens, qu'a-t-on à faire ?
Source de peine et d'embarras,
Qui veut en jouir, les altère,
Qui les garde, n'en jouit pas.
Ainsi, malgré l'erreur commune,
Margot me prouve chaque jour
Que sans naissance et sans fortune,
On peut être heureux en amour. [...]