Les grands
classiques

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Les grands<br>classiques

Pierre de RONSARD
1524 - 1585

Ode en dialogue, l'Espérance et Ronsard

Pipé des ruses d'Amour
Je me promenois un jour
Devant l'huis de ma cruelle,
Et tant rebuté j'estois,
Qu'en jurant je prometois
De m'enfuir de chez elle.

Il sufist d'avoir esté
Neuf ou dix ans arresté
Es cordes d'Amour, disoie,
Il faut m'en developer,
Ou bien du tout les couper
Afin que libre je soie.

Et pour ce faire, je pris
Une dague, que je mis
Bien avant dedans la lesse :
Et son noud j'eusse brisé
Si lors je n'eusse avisé
Devant l'huis une Déesse.

Mais incontinent que j'eu
Son dos garny d'aisles veu,
Sa robbe et sa contenance,
Et son roquet retroussé
Incontinent je pensé
Que c'estoit dame Espérance.

Je m'aproche, elle me prit
Par la main, puis ell' me dit :

ESPERANCE
Où vas-tu pauvre poëte ?
Tu auras avec le tems
Tout le bien que tu pretens,
i Et plus que tu n'en souhete.

Ta maistresse avoit raison
De tenir quelque saison
Rigueur à ta longue peine
Elle le faisoit expres,
Pour mieux resonder apres
Ton caeur, et ta foy certaine.

Mais ores qu'elle sait bien
Par seure espreuve combien
Ta peneuse amitié dure ;
D'elle mesme te prira,
Et benigne, garira
Le mal que ton coeur endure.

Alors je luy répondis :

RONSARD
É qu'esse que tu me dis ?
Veux-tu r'abuzer ma vie
Apres me voir échapé
De celle qui m'a trompé,
Veux tu que je m'y refie ?

Dix ans sont que je la suis
Et que pour elle je suis
Come une personne morte
Mais en lieu de lui ployer
Son orgueil, pour tout loyer
Je muse encor à sa porte.

Non non, il vaut mieus mourir
Tout d'un coup, que de perir
En langueur par tant d'années :
Ores je veux de ma main
Me tuer, pour voir soudain
Toutes mes douleurs finées.

L'ESPERANCE
Ah, qu'il te feroit bon voir
De tomber en desespoir,
Quand l'Esperance te guide !
Laisse laisse ton emoy,
Laisse ta dague et sui moy
Là haut chés ton homicide.

Disant ces motz je suivy
Ses pas, tant que je me vy
Dans la chambre de Cassandre :

L'ESPERANCE PARLE A CASSANDRE
Tien, dist l'Esperance, tien
Tout expres icy je vien
Pour ton fugitif te rendre.

Il t'a servi longuement,
C'est raison que doucement
Ses angoisses tu lui ostes :

Il te faut bien le traiter,
Craignant ce grand Jupiter,
Puis qu'il est l'un de tes Hostes.

Atant elle s'en vola,
Et tout seul me laissa là
Dedans ta chambre, m'amie.

RONSARD PARLE A CASSANDRE
Là, donques par amitié,
Là, Cassandre, pren pitié
De ton Hoste qui te prie.

Si j'ay quelque mal chés toy,
Jupiter le juste Roy
Te dardera sa tempeste :
Car il garde ceux qui sont
Hostes, et ceux là qui font
En misere une requeste.