Elégie sur la mort de Ronsard
... Adieu, mon cher Ronsard ; l'abeille est votre tombe
Fasse toujours son miel ;
Que le baume arabic à tout jamais y tombe,
Et la manne du ciel.
Le laurier y verdisse avecque le lierre
Et le mirthe amoureux ;
Riche en mille boutons, de toutes parts l'enserre
Le rosier odoreux,
Le tin, le basilic, la franche marguerite,
Et notre lis françois
Et cette rouge fleur, où la plainte est écrite
Du malcontent Grégeois.
Les Nymphes de Gâtine et les Nayades saintes
Qui habitent le Loir,
Le venant arroser de larmettes empreintes,
Ne cessent de douloir.
Las ! Cloton a tranché le fil de votre vie
D'une piteuse main,
La voyant de vieillesse et de goutte suivie,
Torturage inhumain ;
Voyant la pauvre France en son corps outragée
Par le sanglant effort
De ses enfants, qui l'ont tant de fois ravagée,
Soupirer à la mort ;
Le Suisse aguerri, qui au combat se loue,
L'Anglais fermé de flots,
Ceux qui boivent le Pau, le Tage et la Danoue
Fondre dessus son dos,
Ainsi que le vautour, qui de griffes bourelles
Va sans fin déchirant
De Prométhée le foie, en pâtures nouvelles
Coup sur coup renaissant.
Les meurtres inhumains se font entre les frères.
Spectacle plein d'horreur,
Et déjà les enfants courent contre leurs pères
D'une aveugle fureur ;
Le coeur des citoyens se remplit de furies ;
Les paysans écartés
Meurent comme une haie ; on ne voit que tueries
Par les champs désertés.
Et puis allez chanter l'honneur de notre France
En siècles si maudits !
Attendez-vous qu'aucun vos labeurs récompense
Comme on faisait jadis ?
La triste pauvreté nos chansons accompagne ;
La Muse, les yeux bas,
Se retire de nous, voyant que l'on dédaigne
Ses antiques ébats.
Vous êtes donque heureux, et votre mort heureuse,
O cygne des François ;
Ne lamentez que nous, dont la vie ennuyeuse
Meurt le jour mille fois
Vous errez maintenant aux campagnes d'Elise,
A l'ombre des vergers,
Où chargent en tout temps, assurés de la bise,
Les jaunes orangers,
Où les prés sont toujours tapissés de verdure,
Les vignes de raisins,
Et les petits oiseaux gazouillants au murmure
Des ruisseaux cristallins.
Là le cèdre gommeux odoreusement sue,
Et l'arbre du Liban,
Et l'ambre, et Myrrhe, au lit de son père reçue
Pleure le long de l'an.
En grand'foule accourus autour de vous se pressent
Les héros anciens,
Qui boivent le nectar, d'ambrosie se paissent
Aus bords Elisiens.
Sur tous le grand Eumolpe, et le divin Orphée,
Et Line, et Amphion,
Et Musée, et celui dont la plume échauffée
Mit en cendre Ilion ;
Le louangeur thébain, le chantre de Mantoue,
Le lyrique latin,
Et aveques Sénèque, honneur grand de Cordoue,
L'amoureux Florentin.
Tous vont battant des mains, sautellent de liesse,
S'entredisant entre eux :
Voilà celui qui dompte et l'Italie et la Grèce
En poèmes nombreux.
L'un vous donne sa lyre et l'autre sa trompette.
L'autre vous veut donner
Son myrthe, son lierre ou son laurier prophète,
Pour vous en couronner.
Ainsi vivez heureuse, âme toute divine,
Tandis que le Destin
Nous réserve aux malheurs de la France, voisine
De sa dernière fin.