Puisque l'absence me retire En ce désert où je soupire L'amour qui me rend furieux, Puisque le sort me porte envie, Je veux faire écouler ma vie Par les fontaines de mes yeux.
Puisqu'un autre à mon bien succède, Puisque mon mal est sans remède, L'espoir doit être supprimé. Puisqu'en vain le ciel je réclame, Et puisque j'ai perdu Madame, Adieu, luth que j'ai tant aimé !
Sus donc, mes yeux, fondez en larmes, Parques, redoublez vos alarmes, Annonçant la fin de mes jours, Car éloigné de ce que j'aime, Je me vois privé de moi-même, Plus suivi de morts que d'amours.
Amour, fuis donc de ma pensée, Puisque l'espérance est chassée, De quoi te voudrais-tu nourrir ? Laisse-moi pleurer mon dommage. Quand on sent un pareil outrage, C'est grand heur de pouvoir mourir !
Puisque ce bel oeil me délaisse, Je dois, tout noirci de tristesse, M'abandonner au déconfort. Mon âme, fuis donc aux ténèbres, Et que mes complaintes funèbres Fassent même horreur à la mort !
Et vous, roches abandonnées Qui voyez le cours des années, Roches que j'ébranle d'effroi, Écoutez ma douleur profonde. Vites-vous jamais en ce monde Rien de si malheureux que moi ?