Je t'adore. Soyons deux heureux. Viens t'asseoir Dans une ombre qui soit un peu semblable au soir. Marchons bien doucement. Sois pensive. Sois lasse. Profitons du moment où personne ne passe ; Entrons dans le hallier, cachés par les blés mûrs.
Que ne puis-je élever brusquement quatre murs Ici, dans ce coin chaste, et d'un coup de baguette ! La nature est un oeil invisible qui guette ; Glissons-nous ; le silence entend ; défions-nous Du bruit que fait une âme embrassant deux genoux. Car, moi, je ne suis pas autre chose qu'une âme ; Mais une âme peut prendre en sa serre une femme, Et l'emporter, et faire un bruit mystérieux De lionne sur terre ou d'aigle dans les cieux.
Tu grondes. Un baiser ! - Jamais ! - Je le dérobe. Tu dis : c'est mal ! - Et j'ôte une épingle à ta robe. L'amour aime les yeux fâchés de la pudeur, Et rien n'est plus charmant qu'un paradis boudeur ; C'est vrai, belle, depuis que les blanches épaules De Galatée ont pris la fuite sous les saules, Et que Marot a vu, sans être trop puni, Un doux sourire faire éclore un doux nenni, Une gloire ineffable est à l'amour mêlée. La femme est de son trop de puissance accablée ; Vaincue, elle se sait maîtresse, elle nous plait ; Comme c'est ravissant d'avoir ce qu'on voulait Et de sentir beaucoup de reproches se taire ! Comme une rougeur vague après l'heureux mystère Enivre, et comme on sent le prix d'une faveur Que veut presque reprendre un silence rêveur ! Reprendre ? Non ; pourquoi ? Donner encor ? Peut-être. Cachons-nous. Une branche a remué. C'est traître. On devinait qu'Eschyle avait un rendez-vous Avec Mégaryllis, la farouche aux yeux doux, Et qu'elle se laissait dire de tendres choses, Quand les feuilles tremblaient au bois des lauriers-roses.